Jeudi dernier, deux membres du laboratoire social et managérial du Team Jolokia ont embarqué sur le VOR 60 pour un entraînement avec l’équipage. Interview.
Pouvez-vous vous présenter ?
Pete Stone : Je suis britannique, mais en France depuis presque 30 ans. Je suis donc un mélange de culture britannique et de culture française. Je travaille sur les sujets liés à la diversité et à la discrimination auprès des entreprises. Mon rôle est de les accompagner dans la mise en place de politiques de diversité.
Michel Bazile : Je travaille dans le domaine du nautisme depuis une trentaine d’année et suis aujourd’hui formateur à l’ École Nationale des Sports Nautiques. En tant que professionnel, je me suis beaucoup intéressé à la question de gestion d’équipage, à la fois du point de vue du skipper mais aussi de celui des équipiers : la manière dont ils peuvent fonctionner, que ce soit simplement d’un point de vue relationnel mais aussi en termes de performance, en course ou en croisière. Professionnellement, je me suis aussi occupé de questions de management. Il y a un lien très fort entre les situations que l’on rencontre dans un équipage et celles que l’on rencontre dans une équipe de travail.
Pourquoi étiez-vous à bord du Team Jolokia jeudi dernier ?
P.S : Le matin, j’ai navigué sur le VOR60 avec l’équipage en entraînement. J’ai passé une de mes premières journées à ne pas avoir peur de l’eau ! L’après-midi, nous avons échangé avec l’équipage sur l’aventure Team Jolokia ; pourquoi ils sont là, ce qu’ils en retirent, leur vision du projet, etc.
J’étais là parce que je trouve que c’est une belle aventure, vraiment passionnante. Je voulais voir ça de plus près, s’il y avait des choses à faire ensemble.
M.B : J’ai répondu à une invitation ! Cela fait maintenant quelques années que je suis associé aux projets portés par le Team Jolokia. Je trouve le projet et les personnes très intéressants, je suis donc venu participer à une journée d’entraînements avec l’équipage. Je voulais voir comment cela se passe, faire un retour et participer aux réflexions collectives.
La volonté est aussi de mettre en place le laboratoire social et managérial : une réflexion sur les enseignements que l’on peut inspirer et que l’on peut tester dans le cadre de la gestion de l’équipage et du bateau. Je suis venu avec l’idée de développer cette observation et ces idées.
Comment percevez-vous le handicap, la mixité, la différence de niveau de compétences, d’âge… au sein de l’équipage ? Sont-ils des freins à la construction de la performance à bord ?
P.S : Je n’ai pas vu tout l’équipage, seulement 7 personnes, mais avec des différences au sein du groupe : des personnes jeunes à des gens qui ont dépassé la cinquantaine, des gens qui sont décrits classiquement comme des personnes non handicapées et des personnes plutôt handicapées, des gens qui connaissent bien la voile et d’autres qui ont connu la voile avec le Team, etc.
Est-ce que ces différences sont des freins à la performance ? De ce que j’ai observé, je dirais le contraire. J’ai l’impression que le fait que les gens soient différents, avec des points forts et des points faibles, n’est pas un frein mais quelque chose de positif. Ici, chacun admet le fait qu’il y ait des choses qu’il arrive à faire et d‘autres non. Cela crée de la solidarité, de l’entraide entre les gens, ce qui leur permet de pouvoir aller au-delà des différences. De là commence la fameuse synergie où l’impact des individus agissant ensemble est plus grand que la somme de leurs actions prises indépendamment les unes des autres. C’est une impression, mais est-ce la vérité ? C’est plutôt à l’équipage de le dire.
M.B: C’est une question qui n’est pas forcément facile… Où se situe la performance ? Est-ce faire aussi bien qu’ un bateau de professionnels ou être capable d’aller le plus loin possible dans la capacité de l’équipage ? Pour moi, la réalité se situe entre ces deux aspects là. Aujourd’hui, on est incapable de savoir comment se comporte le bateau par rapport à d’autres bateaux, même si sur le Record SNSM il s’est fait remarqué par sa performance vis-à-vis des autres.
A bord, j’ai pu constater que l’équipage tourne bien : le bateau est maîtrisé dans ses manœuvres et dans les relations entre ses différentes parties.
Avec mon regard de professionnel du nautisme, je trouve que l’on sent des freins, la nécessité de « huiler » certaines manœuvres. Peut-être y aura-t-il des freins liés au potentiel affecté des équipiers, soit par un handicap soit par un manque d’expérience. A côté d’une personne qui fait cela depuis 30 ans et qui a décidé d’en faire son métier, le potentiel est obligatoirement moins élevé. Mais le bateau tourne et les manoeuvres s’enchaînent !
Ensuite, deux autres aspects me semblent importants. Sur le bateau, la qualité du micro groupe m’a marquée : les personnes ont une volonté forte de s’entendre et de fluidifier au maximum leurs relations pour aller vers l’efficacité. C’est un vrai plaisir d’ être sur ce bateau. Sans stress, sans un mot au dessus de l’autre, chacun étant dans une posture d’ apprentissage.
En effet, tout est l’objet d’un apprentissage : ce que l’on crée devient la leçon ou l’expérience à partir desquelles on programme l’entraînement suivant. Dans le milieu de l’entreprise voire sur des bateaux de course, l’action collective est souvent différente : on ne trouve pas forcément une posture et une attitude tournée sur le relationnel et sur l’apprentissage. Il y a pourtant une vraie performance à ce niveau là.
Les différences sont-elles lissées ou visibles ?
P.S : Les différences sont bien présentes : elles ne sont pas lissées, elles sont très clairement là et personne ne s’en cache. Mais ce n’est pas pour autant que ces différences sont vues comme des freins.
Alors que de manière générale, soit on nie la différence, soit on met en avant la différence pour dire “celui-là est plus fort que celui-ci”. Ici, ce n’est pas le cas : les gens acceptent qu’ils ne sont pas identiques, en termes de compétences en voile par exemple. On l’accepte parce qu’on accepte aussi que chacun ait des choses à apporter à l’autre. Ma vision est peut-être naïve. Peut-être que les gens ne sont pas complètement honnêtes quand ils parlent, mais moi je l’ai ressenti comme ça.
M.B : Les deux ! Si on prend la performance collective du bateau, par rapport à des bateaux qui tournent bien avec des équipages de bons niveaux, on peut dire que c’est lissé, on voit que le bateau et le collectif fonctionnent. Si l’on observe chacune des personnes dans leur fonctionnement, la différence est évidemment visible. Certaines personnes vont avoir des difficultés de mobilité, d’autres un vocabulaire marin non adapté, etc. Mais toutes trouvent des solutions pour que le collectif fonctionne. Il y a donc une dualité : on voit les différences individuelles mais la performance collective est lissée.
Quel outil de management de la diversité avez-vous observé à bord ?
P.S : Je ne sais pas si j’ai vu un management de la diversité à proprement parler. J’ai vu une prise en compte des compétences et des lacunes des uns et des autres pour que l’ensemble avance. Est-ce un management de la diversité ? Je ne suis pas persuadé que ça le soit dans le sens classique du terme. En même temps, c’est aussi ce que l’on doit faire : essayer d’appuyer les points forts de chacun et faire en sorte que chacun puisse combler les points faibles des autres. Quand une personne n’arrive pas à faire quelque chose, quelqu’un d’autre l’aide pour qu’il réussisse et la prochaine fois le fasse mieux. Il s’agit de partager les compétences des uns et des autres pour faire en sorte que cela marche le mieux possible..
M.B : Trois éléments sont essentiels : 1- L’engagement. Même si la personne a plus de potentiel intellectuel et physique, si elle n’a pas envie de faire, il ne se passe rien. A bord, la qualité de l’engagement est supérieure. Pourquoi fait-on les choses, quelle intensité met-on dans l’engagement ? Une des questions qui doit être au coeur de la relation entre les managers et les managés, entre un skipper et ses équipiers. C’est le contrat préalable à l’action, qui doit être régulièrement re négocié et re validé. Ici, on retrouve une qualité d’engagement de tous les côtés, pas simplement du côté de l’équipage mais évidemment du côté de l’encadrement. Cela entraîne un mode de relations apaisées. Les gens se connaissent et ne doutent pas de l’énergie et de l’engagement qu’ils mettent dans l’action : quand il y a des difficultés, l’interpellation n’est pas sur la bonne volonté ou l’absence d’engagement des personnes mais sur les limites objectives à l’action. La pédagogie et la médiation sont privilégiées plutôt que le reproche, ce qui crée une qualité relationnelle fondamentale. Son absence est souvent le frein à la performance collective dans des groupes de travail plus classiques. L’engagement implique aussi un travail de “gestion de soi”, une question essentielle dans l’action collective.
2-Considérer que toute expérience produite est un terrain d’apprentissage
3- Partager des valeurs et l’objet qui réunissent les personnes
Même si chacun est doté de son projet personnel, la capacité à se retrouver dans le projet collectif est important, tant pour les initiateurs du projet que pour l’équipage recruté. Cet aspect doit questionner tous les managers : « Comment faire en sorte que mon projet puisse avoir du sens par rapport aux gens dont j’ai besoin ? ».
Pete Stone, Just Different : http://www.justdifferent.eu/