Pour ce troisième épisode de notre série d’interviews “Diversité : parlons-en ! ” qui explore les enjeux de la diversité en compagnie de personnes inspirantes et engagées, Jolokia est allé à la rencontre de Saïd Hammoucheentrepreneur social, fondateur et directeur général de Mozaïk RH, un cabinet de recrutement et de conseil créé en 2008 et spécialisé dans la promotion de la diversité. L’objectif de Mozaïk RH ? “Connecter et sourcer les talents pour créer de la valeur”.

Entretien réalisé en septembre 2020 par Léa Landuré-Provost, équipière Jolokia 2020.

Said Hammouche

Jolokia : Est-ce facile de s’appeler Saïd Hammouche aujourd’hui ?

Saïd Hammouche : Dans un contexte professionnel, il est probablement plus facile de s’appeler Saïd Hammouche aujourd’hui que cela ne l’était hier. Le contexte est essentiel ! S’appeler Saïd Hammouche en étant sportif ou artiste n’est pas tellement gênant. Cela est plus compliqué pour prendre des postes à responsabilités dans la haute fonction publique ou dans des entreprises “normées”, plus conservatrices.

Pourriez-vous nous présenter Mozaïk RH et ses actions ?

Nous avons fait le choix de travailler la question de la promotion de la diversité, dans l’optique de connecter des entreprises qui ont des besoins avec des jeunes qualifiés. Nous avons oublié que le système éducatif français permet d’amener des jeunes défavorisés à un niveau d’éducation, voire à des diplômes. Ils ont acquis des compétences dans un métier, dans une spécialité, et peuvent devenir rapidement autonomes.

Or, actuellement, la recherche de travail est plus complexe pour les jeunes venant d’un quartier dont l’image est négative car cela génère un préjugé. En France, nous sommes aussi dans une dynamique de cooptation très forte. Nous trouvons un emploi grâce à notre réseau : “qui se ressemble s’assemble”. Pour pouvoir couper court à cette notion et créer de la confiance, nous avons absolument besoin de recréer d’autres mécanismes. Tout est basé sur la confiance. Si un interlocuteur choisit de faire confiance au projet que je lui soumets, il me sera beaucoup plus facile de permettre à des jeunes de développer des opportunités.

La création de Mozaïk RH a-elle été motivée par votre expérience personnelle ? Votre CV a-t-il été écarté pour les raisons que nous évoquons ?

C’est forcément alimenté par mon expérience professionnelle et personnelle mais aussi par tout ce que j’ai pu voir et entendre des gens autour de moi. Le projet s’est ensuite structuré par des lectures et des études scientifiques. À un moment donné, on prend conscience qu’il existe un vrai problème systémique et qu’il faut imaginer, faire émerger une nouvelle solution.

Vous parlez de “croissance inclusive” et d’“inclusion économique” plutôt que d’“intégration” sur le marché de l’emploi : quelle différence faites-vous ?

Cela correspond à une époque. Lorsque j’étais jeune, il était question d’intégration. C’était une injonction : “vous avez intérêt à vous intégrer”. Mais nous voulons juste vivre, juste trouver du travail. Nous voulons juste croire en la méritocratie et donc en avoir le fruit au moment de chercher un emploi ou de créer son entreprise.

Or, cela n’est pas tout à fait vrai. Il faut reconstruire cette dynamique de rupture avec d’autres hypothèses. Il est fondamental de travailler dans une optique de croissance inclusive vers un but unique : permettre aux gens d’être autonomes. Devenir autonome grâce au travail permet d’être moins consommateur des services publics et beaucoup plus indépendant au regard de toutes les aides qu’il est possible d’avoir. J’ai l’intime conviction que les jeunes des territoires défavorisés n’ont pas besoin d’être assistés ! Ils veulent être reconnus pour leur force de travail, leur force de création. Lorsqu’ils en sont empêchés, bloqués parce qu’ils ne sont pas dans le bon écosystème, cela relève de l’injustice !

Il faut réinventer une autre philosophie de type politique publique. Il n’est pas question d’intégration, il n’y a pas de problème d’identité ni de culture. Il s’agit d’un problème de connexion avec le monde économique. Dès lors que la porte s’ouvre, les énergies se libèrent et les gens peuvent trouver leur place dans la société, devenir des consommateurs à part entière, être reconnus pour leur force de travail. Cela permet de développer tout un mécanisme d’intégration dans la société française et de sortir d’une politique d’assistanat social dont nous avons besoin mais qui n’est pas valable pour toutes les populations.

Vous dites que “la diversité n’est pas un sujet social, c’est un service que l’on rend à l’économie”. Que se passe-t-il lorsque les entreprises “recrutent des clones” ?

Ce sujet est souvent considéré sous le prisme social et non économique. J’ai toujours imaginé qu’une équipe s’enrichissant de modes de pensée différents est une équipe gagnante. Pour moi c’est une évidence. Force est de constater que ça ne l’est pas. Il faut aujourd’hui expliquer pourquoi cette démonstration, qui nous paraît naturelle, ne l’est pas.

Trop de recruteurs sont dans le déni et pensent que les jeunes sont au chômage parce qu’ils l’ont voulu ou le méritent. Lorsque le taux de chômage national est de 9%, il grimpe à 25% voire 50% dans certains quartiers. Ce phénomène a longtemps été expliqué par le fait que les jeunes de banlieue ne “veulent pas” réussir. Les “décrocheurs” et les délinquants ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population jeunesse des quartiers populaires !

Mozaïk RH prend le parti de démontrer qu’une grande partie de cette jeunesse a envie de réussir. Sommes-nous d’accord pour leur proposer un projet d’inclusion économique en France ? C’est une évidence ! Alors comment le mettre en place ?

Comment change-t-on les attitudes ? Comment amener à une prise de conscience à la fois individuelle et collective ?

La preuve par l’exemple est une manière de pouvoir embarquer, mobiliser davantage l’entreprise. Faire témoigner les entreprises est aussi une logique intéressante. Il s’agit pour elles de décrire de la manière la plus authentique possible la valeur ajoutée proposée et les bénéfices. Y a-t-il davantage de cohésion dans l’entreprise ? Y a-t-il davantage d’innovations ou de complicité ? Tout cela va ensuite permettre aux équipes d’affiner un produit, de trouver le meilleur packaging, ou encore de s’adresser avec le bon axe de communication aux segments de clientèle jusqu’alors inconnus par manque de référencement.

Mozaïk RH, au même titre que Jolokia, parie sur la démonstration par l’exemple et prouve qu’il est possible de valoriser d’autres talents, d’autres modèles de réussite. Pourriez-vous nous donner un exemple de parcours concret ?

En 2007, j’ai rencontré un jeune qui a eu son bac avec mention “Très bien” et intégré une bonne école grâce à des conventions “Égalité des chances”. Il voulait travailler dans la banque privée, or les recruteurs lui demandaient systématiquement la profession de ses parents ou de nommer des personnes qui pourraient le recommander. En revanche, il avait des propositions pour des postes dans la banque de détail. Il s’agit-là clairement d’une mécanique d’empêchement car cette personne a le potentiel mais n’est pas dans les bons réseaux. Grâce à un partenariat stratégique que nous avons mis en place, il a été recruté à Londres. Il a fait une carrière extraordinaire et est aujourd’hui associé dans un fond d’investissement.

Comment dépasser la condition (jeune de banlieue, femme, quinquagénaire, situation de handicap…) et mettre en perspective la compétence ?

À un moment donné, la logique du recruteur professionnel veut mettre un rideau sur l’individu ou le CV reçu. Le plus important est d’analyser les compétences. Nous sommes favorables à exprimer davantage les attitudes et les compétences de l’individu, plutôt qu’un CV, une photo, une école… Cela est scientifiquement mesurable aujourd’hui. De plus en plus d’outils digitaux permettent d’exprimer facilement les compétences. Il suffit de passer des tests sur des plateformes numériques pour être présenté comme étant un candidat avec “de fortes aptitudes dans la relation client”, “de fortes aptitudes analytiques”, “de fortes aptitudes dans le développement à l’international”…

Si cela n’est pas à 100% rationnel, c’est une manière d’aller au-delà du genre, au-delà de l’origine sociale ou culturelle de l’individu. C’est dans cette logique et pour présenter des attitudes que nous avons créé diversifiezvostalents.com. Nous invitons toutes les entreprises souhaitant faire confiance à la diversité et réaliser de bons recrutements à consulter gratuitement cette plateforme qui comporte aujourd’hui 25 000 profils.

Avez-vous remarqué une évolution sur le marché de l’emploi depuis la création de Mozaïk RH en 2008 ?

Nous n’avons pas changé de manière radicale les processus de recrutement en France. En revanche, il y a un mouvement de plus en plus fort en faveur de la diversité. S’il n’y avait pas d’acteurs de la société civile capables d’accompagner cette démarche, nous n’en serions peut-être pas encore là.

Vous venez d’organiser un job dating avec un public plus hétérogène, moins diplômé que votre cible habituelle : est-ce nouveau ? Était-ce à la hauteur de vos attentes ?

Nous avons décidé d’aller sur un autre terrain, celui de secteurs qui recrutent tels que la mobilité verte, à la fois bénéfique pour la planète et les individus. Nous y voyons un potentiel énorme ! Il faut par exemple attendre plusieurs semaines pour avoir ou faire réparer un vélo par manque de vendeurs. L’industrie du cycle a besoin de techniciens. “Partir des opportunités du marché pour trouver les candidats” a du sens. Notre savoir-faire est parfaitement applicable sur d’autres populations moins qualifiées, moins diplômées, mais extrêmement motivées, habiles, aptes à faire une belle présentation client et réaliser une vente. Nous sommes capables d’évaluer et de proposer ces candidats-là. Ce job dating était un succès. Plusieurs centaines de candidats pré-qualifiés ou pré-sélectionnés étaient au rendez-vous !

Quel est votre souhait pour construire la société de demain ?

Mon souhait, qui est aussi celui de la fondation Mozaïk RH, est d’imaginer que peut-être, dans 10 ans, 100% des entreprises pratiqueront un recrutement inclusif. Si demain nous étions capables d’équiper toutes les entreprises sur cette logique-là, nous aurions gagné!

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